Le droit à l'éducation : quelques repères pour une mise en contexte par Jean Hénaire
Table des matières
Présentation
Constats
Principales composantes du droit à l’éducation
Quelques éléments de problématiques
Quelques exemples d’expériences prometteuses
Conclusion : l’éducation, bien commun de l’humanité ?
IV. Quelques éléments de problématique
4.1 La condition sociale
Dans une Lettre dinformation de lInstitut international de planification de léducation (Unesco), J.C. Tedesco écrit ce qui suit: «Il est reconnu que les conditions de vie des élèves ont une incidence déterminante sur le niveau scolaire. Toutes les conclusions relatives aux connaissances acquises saccordent sur le fait que les résultats scolaires sont dépendants du statut social et du bien-être de la famille. Cependant, les mêmes recherches attirent lattention sur un autre phénomène moins apparent à savoir que les changements institutionnels et pédagogiques sont sans effet sur les résultats des élèves qui vivent en dessous du seuil de pauvreté.»(9) Comme on le sait, la déperdition socio-économique, les piètres conditions sanitaires ainsi que le climat de violence dans lequel baignent de nombreux enfants sont des facteurs déterminants de léchec et de labandon scolaires.
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4.2 Linégal accès à lenseignement
Selon des données statistiques fournies par lUNESCO pour lannée 1996, les taux nets dinscription dans le premier degré révèlent encore une fois le décalage entre les pays riches et les pays pauvres. Alors que ces taux atteignent pratiquement les 100% au sein des pays membres de lOCDE, ceux-ci chutent significativement pour ce qui est de lAfrique de lOuest en particulier, surtout chez les filles : Bénin (78%G et 46%F), Tchad (66%G et 37%F), Côte dIvoire ( 63%G et 47%F), Djibouti ( 36%G et 27%F), Mali (32%G et 21%F), etc. (10).Les chiffres sont aussi éloquents lorsque lon compare lévolution dans le temps de lindice despérance de vie scolaire. En 1990, au Canada, cet indice atteignait les 16 années. En 1996, cet indice était de 2.3 au Niger soit le même quen 1990, avec 1.7 année despérance de vie scolaire pour les filles. Pour ce qui est du taux dencadrement, cest-à-dire le rapport élèves/maîtres, celui-ci était, en 1990, pour le primaire, de 57/1 au Burkina Faso ( 50/1 en 1996), de 39.9/1 en Guinée ( 49.2/1 en 1996), de 57.4/1 au Rwanda ( 58.3/1 en 1996) ; pour les mêmes années, ce taux dencadrement était, par exemple, de 17.7/1 en Allemagne (1990 et 1996), de 10.3/1 au Danemark (10.1/1 en 1996 ; ce taux avoisine ou dépasse les 30./1 dans plusieurs pays dAmérique latine et des Antilles (Chili,, El Salvador, Équateur, Haïti, Honduras, Nicaragua, République dominicaine, Pérou ainsi que le Mexique). Ces chiffres ne sont que des moyennes indicatives. Ils ne témoignent pas de réalités extrêmes, pourtant bien réelles, quotidiennes et nombreuses.
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4.3 Les frais de scolarité
Citant un document récent de la Banque mondiale (Education Sector Strategy, 1999), K. Tomasevski (supra) observe que rien nest dit au sujet de lobligation des pays emprunteurs dassurer à tous les enfants dâge scolaire un enseignement primaire obligatoire et gratuit. La Rapporteuse spéciale fait observer que «La mobilisation internationale en faveur dun ajustement à visage humain [
], sest traduite par une adhésion générale au principe selon lequel il fallait protéger lenseignement primaire des coupes budgétaires, mais [
] quon na pas fait suffisamment pour que les frais de scolarité soient effectivement supprimés, conformément aux obligations du droit international en matière de droits de lhomme.» Si labsence de gratuité scolaire a dabord et avant tout un impact considérable sur laccès à lenseignement des enfants touchés par la grande pauvreté des pays les moins avancés, limposition de frais afférents à la scolarité obligatoire commence par ailleurs à peser lourd sur le budget des parents pauvres de pays développés. Ainsi, comme le faisait remarquer la Centrale de lenseignement du Québec dans un mémoire rédigé en 1997, «S'il est un élément essentiel pour assurer l'égalité des chances, c'est bien celui de la gratuité scolaire. Déjà, plusieurs écoles au Québec peuvent difficilement mettre à la disposition de tous leurs élèves les manuels scolaires nécessaires à leur utilisation adéquate. D'autres établissements scolaires exigent des frais de plus en plus élevés pour des projets spéciaux qui ne sont pas à la portée de la majorité des familles.»(11),
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4.4 Léconomisme ambiant
Selon la Conférence des ministres de léducation des pays ayant le français en partage (CONFEMEN), «les mesures prises dans le cadre des Programmes dAjustement Structurel se sont traduites [dans les pays africains] dans le secteur de léducation par un gel des budgets de léducation, la privatisation, linstitution des classes à double flux » (12) Dans une publication récente, lOrganisation internationale du travail (13) se demandait si elle pouvait maintenir dans un cadre volontaire, «le cercle vertueux dune émulation en faveur du progrès social dans une situation où mondialisation de léconomie et renforcement de la concurrence conjuguent leurs effets dans le sens contraire».
La logique de léconomie de marché soutient que les élèves représentent un capital humain à rentabiliser par lexploitation des compétences quils auront acquises au terme de leurs études. Ce capital devient la clé du développement et de la croissance économiques des sociétés dites «cognitives» inscrites dans ce quil est convenu dappeler la «nouvelle économie» elle-même impulsée par les nouvelles technologies de linformation et de la communication. Dans ce schéma, lessor économique anticipé issu de la rentabilisation des compétences de lindividu soumis aux lois du marché sont désormais les garants de la prospérité annoncée dopée au libéralisme. Selon K. Tomasevski (supra), «Lapproche axée sur le capital humain nenvisage léducation que sous langle des connaissances, compétences et qualifications ayant un intérêt économique, au détriment des droits de lhomme.» La Rapporteuse spéciale ajoute que «Cette vue réductrice empêche de définir léducation en termes de développement global de la personnalité, sapant les fondements dune éducation fondée sur les droits de lhomme selon laquelle les enseignants apprendraient à partager leurs connaissances plutôt quà les commercialiser et à coopérer plutôt quà se faire concurrence.»
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4.5 Les contenus de léducation, pratiques et valeurs
Laccès à léducation pour tous demeure une priorité à léchelle mondiale. Cette première condition essentielle à la démocratisation de lenseignement ne dispose cependant pas de ce qui sapprend à lécole ni comment on lapprend. Des contenus biaisés par des représentations ethnocentristes ou des modèles dinculcation des savoirs cultivant la concurrence ou sappuyant sur la menace de sanctions ne correspondent pas à lesprit du droit à léducation pour ce qui est de former des esprits libres et responsables.
Dans son mémoire déposé au Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels (supra), lEIP faisait observer «quen vertu de larticle 13 les États sont non seulement tenus de veiller à expurger les manuels scolaires et autres ou matériels pédagogiques et didactiques qui sont utilisés dans les établissements des stéréotypes racistes, ethnicistes ou sexistes ou tous autres éléments attentatoires aux droits de lhomme quils contiennent mais quen plus, ils sont tenus de faire en sorte que les contenus de ces manuels et autres outils aillent dans le sens des objectifs et buts prévus par larticle 13 tel quil est actualisé par le Comité et quils doivent intégrer cette dimension dans les rapports quils soumettent au Comité.»
Sagissant des pratiques et des valeurs, Véronique Truchot(14)écrivait : «L'on doit reconnaître que la relation maître-élève induit dans son essence même une inégalité de statut; mais l'élève demeure en tout temps l'égal de l'enseignant en matière de droits fondamentaux. Si les comportements directifs vont de pair avec l'institution, il ne faut pas perdre de vue que l'école doit former des êtres libres, responsables et soucieux de la justice. Dès lors, l'on attend de l'établissement scolaire qu'il soit un lieu d'apprentissage de la liberté, et donc de la responsabilité. Or, si l'on se réfère aux recherches qui portent sur la fonction reproductrice de l'école, nous sommes portés à croire que l'ordre social repose sur le pouvoir de contrôle de groupes dominants qui utilisent l'école pour reproduire leur position de domination, conformément à leur intérêt particulier [Marie Duru-Bellat et Agnès Henrio-van Zanten, 1992.], plutôt que comme vecteur d'émancipation. L'autorité, qui devrait être un véhicule des valeurs démocratiques, se trouve ainsi dénaturée, faisant dire à Mendel [1971] qu'elle n'est jamais que le masque mystifiant de la violence.»
Le droit à léducation nest pas seulement lexpression dune massification accomplie, mais aussi le reflet de valeurs exprimant le désir de voir lindividu se construire librement.
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(9) Octobre-décembre 1998. Retour
(10) Unesco : http://unescostat.unesco.org/fr/stats/ (consulté la dernière fois le 14 avril 2000). Comme nous lécrivons plus haut, ces données ne sont quindicatives et peuvent être sujettes à changement. Dans certains cas, il peut ne sagir que destimations. Par exemple : «La survie de vie scolaire est sujette à caution lors des comparaisons entre pays car ni la durée de lannée scolaire ni la qualité de lenseignement sont nécessairement les mêmes dans chaque pays. En outre, comme cet indicateur ne prend pas en compte les effets de redoublement, il nest pas strictement comparable entre les pays pratiquant la promotion automatique et ceux où le redoublement est permis. Il devrait aussi être noté que, selon le pays les données des effectifs ne rendent pas compte de beaucoup de types de la formation continue et la formation.[
].» Voir : http://unescostat.unesco.org/i_pagesfr/indspec/tecspe_sle.htm Retour
(11) In : «La gratuité scolaire, les collectes de fonds spéciaux, la privatisation et la sous-traitance des services: un désengagement grave de la part de l'État». Retour
(12) In : Colloque conjoint UNESCO/OIT sur les programmes dajustement structurel et la condition du personnel enseignant. (Rapport final. Dakar, 23-26 juin 1997. Partie 2 : limpact des programmes dajustement structurel sur le secteur de léducation.). Retour
(13) OIT. «Des valeurs à défendre, des changements à entreprendre. La justice sociale dans une économie qui se mondialise: un projet pour l'OIT». Genève, 1994, p. 58. Retour
(14) In : «Lécole et les valeurs démocratiques». Genève : Thématique N° 4. http://www.eipcifedhop.org/publications/thematique4/thematique4.html Références citées par lauteure : Duru-Bellat, Marie et Agnès Henrio van Zanten (1992) «Sociologie de l'école». Paris :Armand Colin. Mendel, Gérard (1971) «Pour décoloniser l'enfant. Sociopsychanalyse de l'autorité». Paris : Payot Retour