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Réforme de l'éducation
Pour la réussite du virage en éducation
Troisième partie
La gratuité scolaire, les collectes de fonds spéciaux, la privatisation et la sous-traitance des services:
un désengagement grave de la part de l'État
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La gratuité scolaire
S'il est un élément essentiel pour assurer l'égalité des chances, c'est bien celui de la gratuité scolaire. Déjà, plusieurs écoles au Québec peuvent difficilement mettre à la disposition de tous leurs élèves les manuels scolaires nécessaires à leur utilisation adéquate. D'autres établissements scolaires exigent des frais de plus en plus élevés pour des projets spéciaux qui ne sont pas à la portée de la majorité des familles.
Si le projet de loi restaure la gratuité des manuels scolaires, du matériel didactique et du transport scolaire pour l'élève jeune (moins de 18 ans ou 21 ans s'il est handicapé) inscrit à la formation professionnelle (3,7, 293), il permet au conseil d'établissement d'exiger une contribution financière pour certains services éducatifs autres que ceux prévus aux régimes pédagogiques, y compris de l'enseignement en dehors des périodes d'enseignement pendant une journée de classe ou en dehors des jours de classe (13- 88 et 89).
Il s'agit là d'un accroc important au principe de la gratuité des services aux jeunes et d'un recul par rapport à la loi actuelle. On pourrait dorénavant devoir payer pour des services ou des cours le samedi ou après les heures de classe. Les cours de récupération et l'aide aux devoirs représentent en effet des «services d'enseignement en dehors des périodes d'enseignement pendant les jours de classe».
Est-il besoin de signaler que ce type de services est destiné à des élèves qui éprouvent des difficultés d'apprentissage, qu'on retrouve souvent ceux-ci dans des milieux socioéconomiques moyens ou faibles, là même où les parents seraient dans l'impossibilité de fournir une «contribution financière»? Ce n'est certes pas là une avancée conduisant à l'égalité des chances. La CEQ dénonce donc encore une fois cette possibilité conférée au conseil d'établissement d'exiger ce type de contribution financière. Cette disposition doit être retirée du projet de loi.
Les collectes de fonds spéciaux
Il est de la responsabilité de l'État d'assurer un accès gratuit aux services permettant la réalisation de la mission de l'école. À cet égard, l'ouverture, voire l'invitation, qui est faite aux personnes ou organismes publics ou privés à contribuer financièrement à la «réalisation du projet éducatif de l'école» contrevient grandement à cette responsabilité de financement public qui incombe à l'État.
Cette nouveauté du projet de loi (13-92) qui transforme les conseils d'établissement en organismes solliciteurs de dons est non seulement un reflet flagrant du désengagement de l'État, mais également une porte ouverte à une distinction encore plus grande entre les écoles riches et les écoles pauvres.
Il était d'ailleurs étonnant d'entendre la ministre affirmer que les fonds spéciaux ne serviraient jamais à financer les services éducatifs de base alors qu'ils sont, textuellement, destinés à «aider à la réalisation du projet éducatif de l'école». Or, le projet éducatif est défini dans le projet de loi lui-même (13-37) comme étant: «les orientations propres à l'école et les mesures pour en assurer la réalisation et l'évaluation», ces orientations et ces mesures visant l'application, l'adaptation et l'enrichissement «du projet éducatif national défini par la loi, le régime pédagogique et les programmes d'études établis par le ministre». Le conseil d'établissement pourrait donc solliciter de l'argent pour aider à la réalisation du projet éducatif national défini par la loi, le régime pédagogique et les programmes d'études. On est bien loin des activités parascolaires auxquelles la ministre faisait allusion.
Ce nouvel article 92 a surgi subitement dans le présent projet de loi. La question des collectes de fonds spéciaux destinés à favoriser la mission éducative de l'école n'a jamais fait l'objet d'aucun débat public ni au cours de la démarche des États généraux, ni, plus largement, au sein de la société québécoise. Dans son allocution rendant public le projet de loi, la ministre a indiqué qu'elle introduisait cette question dans un souci de transparence, dans le but d'encadrer de façon législative une pratique généralisée dans les milieux. Il est vrai que cette pratique est devenue si courante qu'il faudrait se demander s'il vaut mieux l'encadrer ou tout simplement l'interdire. Quoi qu'il en soit, cela ne doit pas se faire de façon précipitée et sans en mesurer d'abord les impacts. Les premières réflexions, amorcées à la CEQ, invitent à la vigilance. Nous en livrons quelques-unes ci-après.
Un encadrement est proposé par le nouvel article 92 et mérite d'être retenu: il doit y avoir une compatibilité entre les dons et la mission de l'école. De plus, cet encadrement devrait, explicitement, exclure toute forme de publicité, d'invitation à la consommation, de sollicitation ou d'obligation de nature commerciale reliée à un don.
L'école pourrait certes recueillir des dons et des subventions pour aider à la réalisation de toute activité parascolaire et de toute activité éducative tenue hors classe (les sorties scolaires, par exemple). À notre avis, si les fonds recueillis étaient réservés à des fins autres que celles prévues au régime pédagogique, ils pourraient certainement contribuer à redonner vie à tout le vécu parascolaire (social, culturel, sportif) si déterminant pour créer un milieu d'appartenance intéressant et stimulant (exemple: l'École Jeanne-Mance à Montréal). Il serait inacceptable toutefois que toute collecte de fonds conduise à creuser les écarts entre les écoles riches et les écoles pauvres concernant, entre autres, le matériel scolaire, les équipements de base de l'école (exemple: ordinateurs, bibliothèque), les services éducatifs et les services complémentaires ou particuliers. C'est ici que des solutions concrètes doivent être trouvées et incluses au projet de loi pour contrer la multiplication de telles inégalités.
Différentes hypothèses de solution peuvent être envisagées et nous en donnons quelques exemples. Cependant, chacune d'elles devrait être étudiée de façon plus approfondie. Ainsi, une partie des fonds spéciaux recueillis par les écoles pourrait être retenue par la commission scolaire afin de pouvoir les distribuer aux écoles ne réussissant pas à faire de collecte de fonds. La collecte de fonds pourrait être centralisée à la commission scolaire qui les distribuerait suivant une politique élaborée conjointement avec toutes ses écoles. Outre les fonds recueillis par les écoles, la commission scolaire pourrait avoir le pouvoir de recueillir des fonds destinés spécialement aux écoles plus démunies. Les fonds pourraient même être recueillis sur une base régionale et répartis au prorata du nombre d'élèves dans chaque école. Dans tous les cas, il nous semblerait plus équitable que les fonds soient gérés collectivement plutôt qu'établissement par établissement.
Comme on peut le voir, plusieurs éléments devraient être examinés de façon plus approfondie. Ce qui est certain, c'est que le nouvel article 92, tel que rédigé, présente de sérieux dangers. La CEQ a dénoncé fortement le financement public de l'éducation privée, elle dénonce maintenant tout aussi fortement le financement privé de l'éducation publique.
La collecte de fonds est un phénomène plus complexe qu'il n'y paraît. Elle soulève tout autant des questions d'ordre éthique, philosophique, social, pédagogique que simplement fiscal. C'est pourquoi nous croyons que les dispositions entourant la possibilité de recueillir des fonds devraient faire l'objet d'une réflexion spécifique qui pourrait être reportée afin de réunir les conditions d'un véritable débat démocratique.
La privatisation et la sous-traitance des services
Le désengagement de l'État se dévoile dans l'élan marqué à l'intérieur du projet de loi concernant la privatisation et la sous-traitance de biens, d'activités et de services éducatifs. La ministre nous avait pourtant assurés, lors de la Commission parlementaire de septembre sur l'avant-projet de loi, qu'il n'était nullement dans son intention de favoriser un tel élan, que les conseils d'établissement ne disposeraient pas des pouvoirs de sous-traiter et que les possibilités de sous-traitance seraient resserrées.
Le projet de loi est bien loin du compte et ne reflète nullement les engagements pris par la ministre à la Commission parlementaire.
Le nouvel article 89 (13-89), en parfaite conformité avec les dispositions de l'avant-projet de loi, confère au conseil d'établissement (au nom de la commission scolaire) le pouvoir de conclure un contrat pour la fourniture de biens ou services avec une personne ou un organisme relativement aux services éducatifs autres que ceux prévus aux régimes pédagogiques, ou pour des services d'enseignement en dehors des jours de classe ouen dehors des périodes d'enseignement pendant les jours de classe. Cette disposition constitue un cas flagrant de sous-traitance et de privatisation pour des services qui devraient être dispensés par du personnel à l'emploi de la commission scolaire. D'autant plus que cette possibilité de conclure de semblables ententes se ferait sans aucune garantie que ces services seraient fournis par du personnel qualifié.
D'autres situations de sous-traitance demeurent encore possibles dans les pouvoirs conférés aux commissions scolaires. Le projet de loi réitère plusieurs de ces pouvoirs actuels en clarifiant simplement l'écriture des dispositions permettant la privatisation de services.
Ainsi, les nouveaux articles 209 et 213 (46-209; 50-213) permettent toujours à la commission scolaire de faire organiser les services éducatifs par une autre commission scolaire, un organisme ou une personne avec lequel elle a conclu une entente si elle démontre qu'elle n'a pas les ressources nécessaires ou si elle accepte de donner suite à la demande des parents. La commission scolaire peut conclure une entente concernant la prestation des services complémentaires et particuliers, des services d'alphabétisation et des services d'éducation populaire ou pour des fins autres que la prestation des services éducatifs visés.
À première vue, la réécriture de ces articles paraît apporter des balises supplémentaires aux possibilités de sous-traiter («démontrer qu'elle n'a pas les ressources nécessaires» ou «donner suite à la demande des parents») ou des précisions par rapport aux possibilités actuelles («des services complémentaires et particuliers» et «des services d'alphabétisation et d'éducation populaire» plutôt que «certains services aux élèves handicapés ou en difficulté» ou «certains services d'éducation aux adultes»). Ces clarifications viennent pourtant viser directement et plus explicitement toute prestation de services complémentaires et particuliers normalement dispensés par le personnel professionnel et le personnel de soutien à l'emploi de la commission scolaire. Quant aux services d'alphabétisation et d'éducation populaire, le projet de loi encourage nommément la sous-traitance pour ce type de services.
Nous sommes loin d'une volonté de resserrer la privatisation et la sous-traitance. En fait, nombre d'ambiguïtés sont simplement levées et le projet de loi réaffirme que tout service complémentaire ou particulier pourra être sous-traité. Certes, il ne s'agit pas là d'une nouveauté par rapport à la loi actuelle, mais le choix gouvernemental paraît encore plus évident. L'invitation renouvelée aux commissions scolaires à sous-traiter par le biais d'amendements plus explicites en dit long sur les volontés de l'État d'encourager le recours à de tels mécanismes de privatisation et de sous-traitance remettant en question les emplois liés à ces services professionnels et de soutien. Lorsqu'on met en lien cette propension avec la possibilité pour une école de recueillir des fonds spéciaux, le danger s'accroît et non seulement pour des activités extrascolaires.
La CEQ a la ferme conviction que la qualité des services professionnels et de soutien est mieux assurée par du personnel à l'emploi de la commission scolaire faisant partie intégrante de l'équipe-école, qui en partage la philosophie d'intervention, les valeurs éducatives et la connaissance du milieu et de ses besoins. La consultation que nous avons menée auprès de nos membres a démontré que cette conviction constituait une priorité partagée par l'ensemble du personnel de l'éducation et, au premier chef, par le personnel enseignant. Ce dernier ne veut pas de services externes n'ayant aucun ancrage significatif avec l'équipe-école.
À l'heure où l'on demande aux écoles de constituer une communauté d'appartenance, les élèves, les parents, le directeur d'école et le personnel enseignant ont besoin de compter sur des services professionnels et des services de soutien de qualité. Et que fait l'État? Il répond par un encouragement à recourir à la privatisation de ces services.
De l'avis de la CEQ, le projet de loi modifiant la Loi sur l'instruction publique devrait garantir la qualité des services publics d'éducation en restreignant les possibilités de sous-traitance pour des services professionnels et de soutien à des cas exceptionnels exigeant une spécialisation pointue de nature ponctuelle.
Quant aux services d'alphabétisation et d'éducation populaire, la CEQ a souvent réaffirmé qu'il ne faut pas mettre en concurrence les services dispensés en milieu institutionnel et en milieu communautaire, mais qu'il faut plutôt faire en sorte que ceux-ci s'exercent en coopération afin de mieux répondre aux besoins multiples et diversifiés des clientèles auxquelles ils s'adressent. Le projet de loi devrait mettre l'accent sur cette nécessaire coopération entre les services institutionnels et communautaires d'alphabétisation et d'éducation populaire. Ce n'est pas en favorisant nommément la sous-traitance à l'égard de ces services que la société québécoise pourra lutter sur tous les fronts pour contrer l'analphabétisme et le sous-développement de l'éducation de base de la population.
Relativement à l'organisation de services de garde, la commission scolaire conserve, là aussi, le pouvoir de conclure des ententes de sous-traitance (90-258), érigeant ainsi un système de services privés à l'intérieur du service public. La Loi sur l'instruction publique devrait obliger les commissions scolaires à dispenser ces services avec du personnel à son emploi.
Le projet de loi conserve également la possibilité plutôt incongrue de sous-traitance entre une commission scolaire et un cégep pour dispenser des services éducatifs complets de l'un ou l'autre des niveaux d'enseignement (51-215.1). Sous prétexte d'avaliser des expériences de nature exceptionnelle qui se font déjà dans certains milieux, le projet de loi, tel que rédigé, prévoit des possibilités aussi saugrenues qu'un cégep pouvant offrir des services d'enseignement de niveau primaire (renvoi à l'article 447). On ne nous prouvera pas le bien-fondé de ce nouvel article 215.1. De l'avis de la CEQ, le développement de telles ententes risque de porter atteinte à la vocation propre de chacun de ces niveaux d'enseignement, car l'environnement éducatif est un facteur intrinsèque de leur mission éducative respective.
Il en est de même pour les écoles ou les centres à vocation régionale ou nationale. L'entente que peut conclure le ministre pour la mise sur pied de ce type d'établissement permet de «confier la gestion de tout ou partie des services dispensés par l'établissement à un comité ou à un organisme qu'elle institue». De plus, les chapitres de la loi régissant le fonctionnement des écoles ou des centres ne s'appliquent pas à cet établissement. À toute fin pratique, ces écoles ou ces centres pourraient échapper en grande partie à la Loi sur l'instruction publique (141-468). Cela ressemble fort à de la privatisation de l'enseignement, particulièrement dans le cas de la formation professionnelle.
Quand on ajoute à toutes ces possibilités de privatisation et de sous-traitance, le mouvement de décentralisation budgétaire et administrative vers les écoles (bien qu'heureusement amoindri de sa lourdeur administrative par la nomination d'une personne responsable à la commission scolaire des tenues comptables [104-283]) et le contexte de compressions budgétaires en éducation, notre jugement critique au regard du désengagement de l'État face à ses responsabilités quant au financement de l'éducation ne peut qu'être renforcé.
Copyright © Centrale de l'enseignement du Québec
Créée le 8 décembre 1997