V. DEROULEMENT DE LA SESSION
5.1. Débat inaugural : quelques voies d'orientation
Dans son introduction d'ouverture, Madame Prindezis a rappelé l'historique du CIFEDHOP et sa dimension interdisciplinaire : la pédagogie, le droit international des droits de l'homme, l'analyse des enjeux socio-politiques et culturels.
Elle a également défini la mission de l'Association mondiale pour l'Ecole instrument de paix (EIP) qui consiste à intervenir Etats pour qu'ils orientent leurs politiques éducatives en faveur de l'intégration des droits de l'homme et de la paix dans les curriculum et dans la formation des formateurs.
Madame Prindezis a souligné que les institutions traversent une crise de légitimité; l'école est, en effet, aux prises, aujourd'hui, avec la violence et se voit dans l'obligation d'établir des stratégies pour lutter contre ce phénomène. Il faudrait donc trouver des moyens à mettre en oeuvre pour une éducation aux droits de l'homme et à la paix, innover en matière de pédagogie et inciter les autorités à donner suite à cette intention. Mais il convient, d'autre part, dans le cadre des prolongements à assurer aux sessions de formation du CIFEDHOP, de démultiplier les agents de changement en vue de produire les effets escomptés sur le terrain tant aux plans international et régional que national et local. Retour
Madame Elena Ippoliti a précisé que, depuis la proclamation de l'actuelle Décennie de l'éducation aux droits de l'homme, les institutions, les ONG et les différents partenaires ont commencé par renforcer leurs programmes aussi bien au niveau local qu'au niveau régional. Un travail a donc pu être réalisé auprès des institutions internationales sous forme de deux projets; le premier, en collaboration avec l'UNESCO, est une mise au point de matériels pédagogiques pour les écoles; le second est la diffusion, en 270 langues, de la Déclaration universelle des droits de l'homme ( y compris les langues minoritaires et autochtones). Un site internet présente une vision d'ensemble des orientations et des activités du Haut Commissariat aux droits de l'homme : http:/www.unhchr.ch
L'initiative de la Décennie consiste également à soutenir les communautés à travailler ensemble (ACT) et ce, jusqu'en l'an 2004. Une petite bourse de 2000 dollars par activité est également allouée aux ONG pour l'appui aux activités d'éducation de base qu'elles auraient l'intention de conduire. Des plans nationaux sont également mis en oeuvre dans différents pays. A cet égard, on notera la possibilité de développer des matériels pédagogiques, de procéder à la révision de programmes d'études et de manuels scolaires, d'élaborer des activités de formation à l'attention des formateurs, des parents ainsi que des membres de la communauté, de promouvoir le multiculturalisme par le jumelage entre pays. Retour
Madame Ippoliti a terminé son intervention en insistant sur les disponibilités du Haut Commissariat à prendre en compte et à diffuser toutes les propositions relatives à l'éducation aux droits de l'homme que les participants, ONG et autres personnes intéressées voudront bien porter à son attention.
Madame Martine Brunschwig Graf, Présidente du Conseil d'État de la République et du Canton de Genève, a rappelé à quel point il était important de cultiver la paix et le respect des autres, "ce droit intangible que tout être humain devrait pouvoir attendre de ses semblables ".
Pour Madame Brunschwig Graf, l'éducation à la paix est au cur des grands défis du monde scolaire. Dès lors, l'apprentissage du vivre-ensemble s'impose comme mode de résolution pacifique des différends et des conflits. Il ne suffit pas d'être tolérant d'autant que ce terme n'est pas sans ambiguïté. L'écoute de l'autre, le respect de la diversité culturelle dans la classe et dans l'école sont au nombre des attitudes essentielles à développer pour cultiver l'esprit de paix et de compréhension mutuelle.
La Présidente a, entre autres, également souligné l'importance d'un lieu de rencontres et d'échanges internationaux comme le CIFEDHOP, illustrant ainsi la tradition d'ouverture de Genève, ville internationale. Ce faisant, la Présidente rejoignait ainsi les propos qu'elle tint, en avril de cette année, à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de la désignation de Genève comme siège de la Société des Nations et qui rappelèrent que Genève s'était internationalisée "par les rencontres entre ceux et celles qui ont pour mission de faire progresser la concertation et d'établir les bases de relations plus harmonieuses, plus équilibrées et plus efficaces dans les domaines politiques, scientifiques et technologiques, de l'éducation, du commerce et de l'économie".
Madame Brunschwig Graf a remercié les participants et les participantes de leur présence à cette XVIIe Session internationale, leur a souhaité de fructueux travaux et les a invités à profiter de la richesse multiculturelle qu'ils représentaient dans leur diversité. Retour
5.2. Analyses socio-éducatives
Madame Aicha Bah Diallo (Directrice de l'enseignement primaire, UNESCO) a mentionné que la promotion d'une culture de la paix est l'une des priorités du système des Nations Unies à une époque où des conflits et des guerres continuent de sévir dans le monde. Dans ce sens, l'UNESCO a mis en place, depuis 1993, un programme intitulé «Pour une culture de la paix » qui se structure en trois axes:
1- éducation/formation à la paix, aux droits de l'homme, à la démocratie et à la tolérance;
2- recherche axée sur des stratégies et activités de sensibilisation, échanges et diffusion ;
3- renforcement des capacités techniques de programmes régionaux et nationaux.
Par ailleurs, l'UNESCO oeuvre dans le domaine de l'éducation formelle/informelle, (écoles, médias, familles et ONG); l'objectif étant la mise en place d'un système intégré de formation aux droits de l'homme et à la paix.
Au niveau international, l'UNESCO développe du matériel éducatif et de la documentation de base sous forme de guides, de manuels, etc. C'est ainsi que des ouvrages dans le cadre de la compréhension entre les cultures ont pu être réalisés (Histoire de l'humanité, de l'Afrique, de l'Amérique latine, etc).
Depuis plusieurs années déjà, l'UNESCO coordonne le système des écoles associées, les chaires de droits de l'homme, les réseaux universitaires, les réseaux régionaux sur la tolérance, le dialogue entre les religions, le travail avec les parlementaires, etc.
Au niveau national, l'UNESCO aide les Etats membres à réviser les programmes d'études et à éliminer les stéréotypes discriminatoires qui s'y trouvent. Retour
Pour conclure, Madame Bah Diallo a insisté sur le rôle de l'école pour la promotion d'une culture de la paix fondée sur le dialogue comme moyen de résolution des conflits.
Michel Vuille (Sociologue, Service de la recherche en éducation, Département de l'Instruction publique du Canton de Genève) a abordé la question de la violence urbaine en citant les manifestations qui se sont déroulées à Genève, en juin 1998, dans le cadre de la contestation des politiques de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui ont bouleversé la ville de Genève. Ces incidents ont incité les autorités à analyser le phénomène. En tant qu'expert, Michel Vuille fut l'un des auteurs d'un rapport sur cette question qui fut demandé par le Conseil d'Etat du Canton de Genève. La question qui se posa dès lors fut: comment gérer la violence lorsque celle-ci prend la forme d'une «guérilla urbaine » et donne des signes de rupture avec le pacte social ? C'est dans le cadre de ce travail de recherche que le sociologue livre son analyse aux participants. Retour
Selon M. Vuille, la violence est aujourd'hui débridée, elle peut surgir de partout, n'importe quand. Elle passe outre les interdits. A côté des formes traditionnelles de violence (crimes, délits, etc), une autre forme de violence émerge de plus en plus et renvoie davantage à des actes d'incivilité (petits ou grands), faits peu graves en apparence, mais qui remettent en cause les normes régulatrices de la vie sociale. Le résultat se traduit par des conflits entre la culture de l'école et celle de la rue. Cette polarisation inquiète. La violence n'est certes pas une fatalité, insiste le conférencier, mais en tant que construction sociale, elle met cependant en cause nos représentations du vivre-ensemble au quotidien et commande que des politiques de prévention soient mises en place. Pour mieux comprendre le phénomène, il convient de situer la violence dans le contexte dans lequel elle émane. La ville de Genève vit à l'heure de la société post-industrielle marquée, entre autres, par l'effritement des repères hérités de la société industrielle et par un conflit d'autorité opposant les jeunes et les adultes. Bien qu'à ce sujet, il n'existe pas de solution ni d'explication uniques, on peut dire que certains facteurs méritent d'être pris en considération. Retour
Selon M. Vuille, la société industrielle, a cultivé ce qu'il appelle la « pathologie de la faute », l'étayage sur autrui et une certaine forme d'attitude « oedipienne » qui incite à « subir la vie. » L'intégration de ce schéma a pu, selon toute vraisemblance, induire plus facilement des comportements sociaux normatifs. En revanche, la société post-industrielle, quant à elle, semble se caractériser par une «pathologie de l'insuffisance », une centration sur le «Je » et une attitude narcissique poussant fortement le sujet à vouloir « choisir sa vie ».
En outre, dans les sociétés post-industrielles, la double logique de la compétence et de la compétition refoulerait le même sujet dans l'auto-contrainte et le conduirait à la désaffiliation et à la précarité. Placés dans de telles situations, frappés par le chômage et menacés de ne pouvoir se loger convenablement, les jeunes, surtout, se rebellent. Ces tensions seraient, d'évidence, porteuses de désintégration sociale, voire d'anomie (absence de lois) avec, comme corollaire, une perte d'autonomie, de responsabilité et d'initiative. D'où cette rupture qui menacerait la construction du lien social et la capacité de vivre ensemble. Citant Rochmann, M. Vuille ajoute « qu'il faut créer de l'intelligence collective ». Retour
Au plan de la prévention de cette «crise de légitimité » des institutions et des valeurs, il importe d'associer et de soutenir dans leur travail les intervenants du social et de la santé dans un esprit de coopération avec d'autres catégories d'intervenants concernés par la même réalité dont les acteurs scolaires. Pour ce faire, il faut, selon M. Vuille, promouvoir la qualité de vie partout et particulièrement à l'école: le droit des enfants de s'exprimer sur le «vivre à l'école » devrait être reconnu. Il faudrait également trouver les formes de médiation en vue d'apprendre à vivre ensemble égaux et différents. Mais cette volonté se heurte à la difficulté de maintenir un rapport conséquent entre la loi, le droit et la sanction en cas de délits; le problème étant qu'on ne sait plus qui doit intervenir et quand et ce, tant au niveau de la définition des règles que de l'application des sanctions. L'éducation au vivre-ensemble ne peut pourtant pas faire l'économie de la sanction. La société post-industrielle n'est sans doute pas rendue au bout de ses peines. Retour
5.3. Violence à l'école et éducation civique
par François AUDIGIER (Didacticien, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation), Université de Genève)..
Le conférencier a commencé par lire un extrait de l'Iliade empreint d'une très grande violence. Il a commenté sa lecture en insistant sur le fait que la violence fait partie intégrante et intégrale de la vie courante. Pour le traitement de ce phénomène, la question n'est pas de seulement d'éduquer mais de gérer la violence. M. Audigier a étayé son propos en citant quelques exemples de violence au Kosovo, au Rwanda, au Burundi, mais aussi en évoquant le travail des enfants et le dernier rapport du PNUD qui relève, à titre d'exemple, que les 3 hommes les plus riches du monde disposent d'une fortune dépassant les revenus des 35 pays les plus pauvres du monde et qui représentent 600 millions d'habitants.
Selon l'intervenant, le quatrième droit de l'homme est un droit de résistance à l'oppression, situé à l'intersection de deux problèmes: celui de la violence (un état de droit n'est pas forcément un état de justice), et celui de la résistance, la violence devenant alors juste et légitime. Le conférencier enchaîne alors son propos en proposant aux participants, à partir d'une série de faits se déroulant en milieu scolaire (déranger son voisin, voler, porter une casquette, etc.) de procéder à un classement selon un ordre décroissant de gravité. Les participants doivent également essayer d'imaginer des remédiations et des sanctions possibles, d'une part, à l'égard du coupable, et, d'autre part, à l'égard de la victime. Retour
5.4. Culture de la paix et partenariat éducatif
par Verdiana GROSSI (Professeur d'histoire, Université de Genève et Ecole de Commerce).
Trois questions pour lancer la réflexion ont été proposées par la conférencière:
1- Comment faire accepter et institutionnaliser à l'école et dans la société l'éducation à la paix? Le problème étant de l'introduire dans les mentalités pour provoquer un changement.
2.- Que faire pour que cette culture de la paix puisse trouver des alliés? C'est toute la question des partenariats.
3- Quelles sont les conditions nécessaires pour que l'éducation à la paix puisse être introduite en terme de pratique scolaire, mais également à l'extérieur de l'école?
Pour répondre à la première interrogation, la conférencière a essayé de proposer une définition de la culture de la paix, à savoir un processus caractérisé par le développement d'un état social non violent lié à la justice, aux droits de l'homme, à la démocratie et au développement.
Cette culture de la paix ne peut se réaliser qu'avec la participation de tous les individus et à tous les niveaux. Dans cette définition, le développement occupe une part importante avec cette notion de progrès, d'évolution de la société. Mais, le développement pourrait également avoir une connotation ambiguë, signifiant en même temps que l'idée de progrès implique celle de divulgation.
L'expression " culture de la paix " trouble également l'esprit. C'est un terme qui est en marge du cursus scolaire et n'est mentionné que très rarement dans les systèmes éducatifs. Rares, en effet, sont les gouvernements qui se sont donnés la peine d'introduire ce concept dans les programmes et cursus scolaires.
A la question sur les conditions nécessaires pour que la culture de la paix entre dans les pratiques scolaires, la conférencière introduit la notion de partenariat. Selon cette dernière, l'approche juridique est, certes, nécessaire, mais il faut y associer de la réflexion et de l'action, ceci en impliquant tout le monde.
Faire une éducation à la culture de la paix est un travail qui se situe aux niveaux éthique et culturel et ce dès le plus jeune âge.
Enfin, la conférencière a terminé son propos en se demandant s'il y a un citoyen du monde et si les sociétés d'aujourd'hui, multiculturelles, peuvent faire de la culture de la paix une culture mondiale.
L'école est ce dernier bastion de pensée et de rêve afin que la suprématie de l'économique ne l'emporte pas sur le spirituel. Retour
Babacar DIOP (Professeur le lettres, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal).
D'après le conférencier, on ne peut pas parler de paix si l'on n'est pas une victime. Il rappelle le thème de la session " Eduquer aux droits de l'Homme, utopies et réalités " et s'interroge sur les autres sens possibles du terme utopie. Pour l'intervenant, utopia veut dire " lieu qui n'existe pas " mais peut être aussi " lieu qui est bien, souhaité, idyllique ". Il continue son propos en se référant aux différents conflits de par le monde: conflits de races, de classes, de genre et de civilisations.
L'orateur est passé par la suite à une présentation de l'expérience d'une ONG, la F.A.R.E (Formation, Animation, Recherche et Edition). L'expérience de la F.A.R.E est très riche, et ce à plusieurs égard: l'ONG travaille sur le terrain en réalisant d'ambitieux programmes d'alphabétisation, mais intervient également dès lors qu'il y a violation des droits de l'homme.
Enfin, M. Diop termine son propos en insistant sur l'importance des réseaux de solidarité dans la réussite de ce type d'action, lesquels réseaux sont la condition du succès de tout projet de développement. Retour