Dossiers du CIFEDHOP : le droit à l'éducation
Questions de fond au regard de la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits economiques, sociaux et culturels
par Ramdane Babadji
I - Préliminaires
II - Des États et de leurs obligations en vertu du Pacte
III - Du droit à l’éducation et du contenu de l’éducation
III – Du droit à l’éducation et du contenu de l’éducation
13. Dans le paragraphe premier de larticle 13, le Pacte stipule que "Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à léducation. Ils conviennent que léducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de lhomme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que léducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et lamitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix".
Il ressort de ce paragraphe que léducation telle que lenvisage le Pacte doit non seulement fournir des enseignements destinés à permettre aux individus de jouer un rôle utile dans la société mais quen plus, ces enseignements doivent être dispensés dans une optique visant à développer le sens de leur dignité et, à leur inculquer lesprit de tolérance, le respect des droits de lhomme et lamour de la paix. Le contenu de léducation tel quenvisagé par le Pacte est donc double : il a une dimension utilitaire, mais cette dimension nest pas conçue en elle-même et pour elle-même, elle doit sinsérer dans une dimension qui est dordre philosophique. Retour
14. Dans ses paragraphes 4 à 7, le projet fait une lecture dynamique et contemporaine de ce paragraphe. Il linterprète à la lumière dun certain nombre dinstruments internationaux intervenus depuis ladoption du Pacte. Il sagit, entre autres, de la Déclaration mondiale sur léducation pour tous (Jomtien, 1990), de la Convention relative aux droits de lenfant (1989) et de lensemble des documents élaborés suite à la conférence mondiale sur les droits de lhomme qui sest tenue Vienne. Par ailleurs, les textes en question ont été adoptés dans des conditions telles que le projet considère, à juste titre, quils "
ont reçu un large appui dans toutes les régions du monde" (paragraphe 6 et note 2). La conclusion en est quun certain nombre dobjectifs et de buts qui ont été retenus dans ces derniers sont considérés comme contenus implicitement dans le paragraphe 1er de larticle 13. Il sagit notamment de légalité entre les sexes et de la protection de lenvironnement. Il va sans dire que cette obligation pèse sur les États autant lorsquils organisent directement laccès à léducation dans les écoles publiques que lorsquils fixent des normes minimales que doivent respecter les établissements privés que les parents ont la liberté de créer en vertu du paragraphe 3 de larticle 13. Le projet ne manque pas de le souligner notamment, dans le paragraphe 39 lorsquil est précisé que la liberté de créer des établissements denseignement est "
assujettie à lobligation de conformité avec les objectifs de léducation visés au paragraphe 1er de larticle 13
". Retour
15. LEIP qui a été fondée en grande partie dans cette perspective est très sensible au rappel que fait le projet des objectifs de léducation et à la lecture dynamique qui est faite du paragraphe 1er de larticle 13. Depuis de nombreuses années, elle mène des travaux sur la question. Cest le cas de travaux de vulgarisation : plusieurs bandes dessinées ont été publiées dans le domaine des droits de lhomme. Cest le cas ensuite de travaux de réflexion sur les questions éducatives en liaison avec la paix et les droits de lhomme comme en témoigne la Collection Thématique publiée par le CIFEDHOP, notamment le n° 2, Juin 1994, "Démocratie, développement et droits de lhomme" ; le n°3, juin 1995, "Mondialisme et particularismes"; le n°4, juin 1996, "Valeurs démocratiques et finalités éducatives"; le n°5, juin 1997, "Droits de lhomme et citoyenneté",; le n°6, juin 1998, "Nouvelles politiques éducatives : défis pour la démocratie", et, le n°7, juin 1999, "Cultures, éducation et sociétés".
16. Bien quexplicité par le paragraphe 66 du projet, le contenu de cette obligation devrait, selon nous, faire lobjet de développements plus substantiels et plus précis. Il devrait en outre être inséré dans les rapports que les États ont lobligation de fournir au Comité. Retour
17. Des développements plus précis.
Au sein des objectifs du paragraphe 1er de larticle 13, le paragraphe 66 cité plus haut semble privilégier le respect des droits de lhomme. Pour importante quelle soit, cette référence ne suffit pas à englober la totalité des objectifs que doit poursuivre léducation au sens du Pacte : amitié entre les nations, les groupes raciaux, ethniques ou religieux, amour de la paix et encore moins protection de lenvironnement. Par ailleurs, même en ce qui concerne les droits de lhomme, la référence quy fait le paragraphe 66 nous semble lacunaire. Il renvoie en effet "
aux initiatives élaborées dans le cadre de la décennie des Nations unies pour léducation dans le domaine des droits de lhomme". Ce faisant, le projet limite dans le temps le respect des objectifs de léducation tels quils sont prévus par le Pacte alors que selon la lettre même de ce dernier ce devrait être des objectifs permanents. Retour
18.Intégrer le respect des objectifs dans lélaboration des rapports
Dans son étude sur "Le droit à linstruction, un droit fondamental. Esquisse dune définition" (Comité des droits économiques, sociaux et culturels, 30/11/1998, E/C.12/1998/16), Fons Coomans, en sappuyant sur les travaux de A. Eide, propose de classer les différentes obligations contractées par les États en vertu de larticle 13 en trois catégories : obligations de respecter, obligations de protéger et enfin obligations de concrétiser. Partant de là, dans un appendice à son étude, il dresse un tableau permettant de rendre compte, sous cet angle, de la totalité des obligations de larticle 13. Si lon devait classer lobligation quont les États de faire en sorte que léducation quils organisent ou permettent dorganiser soit respectueuse des buts et objectifs énumérés au paragraphe 1er du Pacte, il nous semble évident quil faut la classer dans la première catégorie dobligations cest-à-dire celle en vertu de laquelle ils sont tenus de concrétiser. Cette obligation est juridiquement exigible. Le Pacte utilise en effet le verbe "devoir" : les États "
conviennent que léducation doit viser
" (souligné par nous). Elle est également juridiquement exigible dans la mesure où les buts visés sont facilement identifiables : plein épanouissement de la personne et sens de sa dignité, respect des droits de lhomme, etc. Il sagit, en dautres termes de ce que le Comité qualifie dans son observation générale n°3 relative à la nature des obligations des parties (E/1991/23 du 14/12/1990) dune obligation de résultat. Il sensuit que, dès lors quun État organise léducation ou permet quelle ait lieu dans des établissements privés, il doit veiller à ce que les programmes, en plus de fournir des savoirs opérationnels, soient conçus de manière à atteindre les objectifs du paragraphe 1er de larticle 13. Retour
19. Or, le projet nous semble être en deçà de cette exigence. Il se contente de mentionner que "
Les Etats parties sont dans lobligation de mettre en place et dexploiter un système transparent et efficace pour voir si léducation vise en fait ou non aux objectifs énoncés au paragraphe 1 de larticle 13" (paragraphe 66 in fine). Par ailleurs, en tant quobligation de résultat, le respect des objectifs devrait figurer dans les rapports soumis par les États au Comité. Il ne semble pas en être ainsi. Dans ses Directives générales révisées concernant la forme et le contenu des rapports que les États parties doivent présenter conformément aux articles 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/1991/1) du 17 juin 1991, on ne trouve nulle part de mention du contenu de léducation qui doit être dispensée. Des 9 paragraphes consacrés aux questions relatives au droit à léducation et auxquelles doivent répondre les États dans lélaboration des rapports quils soumettent au Comité (pp. 18-20), aucun nest consacré de près ou de loin à cette question. Retour
20. Partant de là, il nous semble quen vertu de larticle 13 les États sont non seulement tenus de veiller à expurger les manuels scolaires et autres outils pédagogiques qui sont utilisés dans les établissements des stéréotypes racistes, ethnicistes ou sexistes ou tous autres éléments attentatoires aux droits de lhomme quils contiennent mais quen plus, ils sont tenus de faire en sorte que les contenus de ces manuels et autres outils aillent dans le sens des objectifs et buts prévus par larticle 13 tel quil est actualisé par le Comité et quils doivent intégrer cette dimension dans les rapports quils soumettent au Comité. Retour
Plan du site | Crédits| © CIFEDHOP