Dossiers du CIFEDHOP : le droit à l'éducation
Questions de fond au regard de la mise en œuvre du pacte international relatif aux droits economiques, sociaux et culturels
par Ramdane Babadji
I - Préliminaires
II - Des États et de leurs obligations en vertu du Pacte
III - Du droit à l’éducation et du contenu de l’éducation
I. Préliminaires
1. Comme les précédentes observations générales adoptées par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (ci-après le Comité) mis en place par le Conseil économique et social des Nations Unies pour veiller à la bonne application par les États du Pacte du même nom (ci-après le Pacte), le projet d’observation générale n°13 (ci-après le projet) vise à fournir un cadre pour une interprétation un peu plus précise et, partant, pour une application un peu plus exigeante de l’article 13 du Pacte qui porte sur le droit à l’éducation. En partant de l’expérience acquise par le Comité à partir de l’examen des rapports fournis par les États parties au Pacte en application de cet article, le projet se propose de "préciser le contenu normatif de l’article et les obligations qui en découlent, afin d’aider les Etats parties à appliquer le pacte" (par.3). Comme il se propose d’aider les mêmes États "à s’acquitter de l’obligation qu’ils ont de faire rapport sur la mise en œuvre du Pacte sur leur territoire" (idem). Retour
2. Il faut se féliciter de ce que le texte soumis à discussion n’ait pas cru utile de s’attarder sur le débat quant à la question de savoir de quelle nature est le droit à l’éducation : économique, culturel, social, civil, politique, etc. Cette question est probablement d’un grand intérêt théorique ; elle est néanmoins d’un intérêt mineur quant au respect dans la pratique des États du droit à l’éducation. Il reste que le projet souligne de manière intéressante la singularité du droit à l’éducation. On relève en effet dans le paragraphe 1 que "l’éducation est à la fois un droit fondamental en soi et une des clefs de l’exercice des autres droits inhérents à la personne humaine". L’organisation non-gouvernementale École Instrument de Paix (ci-après EIP) partage ce point de vue pour peu que le contenu des enseignements dispensés soit conforme aux objectifs de paix, de respect des droits de l’homme et de tolérance tels qu’ils sont fixés au sein de l’article 13 du Pacte. Retour
3. Ce projet est examiné dans un contexte marqué globalement par une large ineffectivité de ce droit. Le Comité en est certes conscient. Le projet relève en effet que "Le Comité n’est pas sans savoir que pour des millions de personnes à travers le monde, l’exercice du droit à l’éducation demeure un objectif lointain qui, de surcroît, dans de nombreux cas, s’éloigne de plus en plus…" (paragraphe 3 du projet). Plus grave peut-être, le droit à l’éducation tel qu’il est prévu par le Pacte semble connaître des reculs. Le constat est en effet plus sévère dans le rapport de Mme Katarina Tomasevski, rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme sur le droit à l’éducation pour qui :"l’exercice du droit à l’éducation a régressé au lieu de progresser ainsi qu’il est préconisé dans le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels" (Comité des droits économiques, sociaux et culturels ; Document de base présenté à la journée de débat général sur le droit à l’éducation, E/C.12/1998/18, paragraphe 1 ; voir également, Jean-Bernard Gicquel, "Le droit à l’éducation et la persistance des inégalités", in : Centre International de Formation à l’enseignement des droits de l’homme et de la Paix, "Vues d’Afrique". L’éducation aux droits de l’homme, Collection Perspectives régionales, n°1, octobre 1996, 96 et s.). Retour
4. Les chiffres sont en effet éloquents. Ils montrent d’abord que le droit à l’éducation n’est pas respecté dans le monde. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le dernier rapport du PNUD, Rapport mondial sur le développement humain 1999 (De Boeck, Université, Bruxelles, 1999). Les statistiques par pays sur le taux d’alphabétisation, les taux nets de scolarisation ou encore sur les enfants ne terminant pas l’école primaire se passent de commentaires (cf. l’indicateur 10 sur les disparités dans l’enseignement, p. 176 et s.). Ils montrent ensuite que les écarts entre les pays du Nord et les pays du Sud se creusent davantage. Selon des données statistiques fournies par l’UNESCO pour l’année 1996, si les taux nets d’inscription dans le premier degré atteignent les 100% dans les pays de l’OCDE, ils baissent de manière significative dans les pays du Sud et ce, de manière encore plus nette chez les filles. Il en va de même des autres indicateurs : indice d’espérance de vie scolaire, taux d’encadrement, etc. Retour
5. Cette situation est évidemment due à la faiblesse des ressources consacrées par les pays concernés à l’éducation. Elle a été néanmoins aggravée par les programmes d’ajustement structurel qui se sont traduits dans le domaine de l’éducation par un gel des budgets et des privatisation. C’est par exemple ce qui ressort du Rapport final du colloque conjoint UNESCO/OIT sur les programmes d’ajustement structurel et la condition du personnel enseignant (Dakar, 23-26 juin 1997, Partie 2 : L’impact des programmes d’ajustement structurel sur le secteur de l’éducation). À cette régression quantitative — c’est-à-dire nombre de personnes dans le monde mises en mesure de bénéficier de ce droit — il faut ajouter une régression qualitative c’est-à-dire portant sur le contenu du droit à l’éducation. Retour
6. La situation en la matière est d’autant plus à déplorer que les moyens dont s’est dotée la communauté internationale sont dérisoires. Faisant partie des "mal aimés" des droits de l’homme, c’est-à-dire les droits économiques, sociaux et culturels, le droit à l’éducation a été conçu d’une manière qui laisse au États une grande marge d’appréciation dans sa mise en œuvre quels que soient par ailleurs les efforts méritoires du Comité pour en améliorer l’exigibilité. C’est ensuite un droit pour la revendication duquel aucun recours n’a été prévu. Il subit de ce fait et de plein fouet les restrictions économiques liées à une libéralisation sauvage. Retour
7. Le Pacte est donc, à la fois, un horizon et une limite. C’est un horizon dans la mesure où il fixe un certain nombre d’objectifs à atteindre. C’est une limite dans la mesure où du fait de l’ensemble des caractéristiques vues plus haut, il ne donne ni au Comité ni aux personnes concernées les moyens d’atteindre ces objectifs. Il nous faut donc tenter de dépasser ces limites. Cela peut se faire par le recours aux dispositions du Pacte lui-même ; c’est-à-dire continuer d’en exploiter les virtualités comme le fait le Comité à travers notamment ses observations générales. Cela peut se faire également et de manière complémentaire, en poursuivant des projets ou - pourquoi pas ? -en mettant en chantier d’autres projets en vue de donner aux droits qu’il promeut davantage de réalité. C’est dans cette perspective que les remarques qui suivent ont été élaborées. Elles visent à donner au Pacte une plus grande justiciabilité et, partant, elles visent une plus grande effectivité du droit à l’éducation. Elles porteront dans un premier temps sur les États et leurs obligations et dans un second temps sur le droit à l’éducation et son contenu. Retour
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